Berezina, Sylvain Tesson
Il y a des livres qui marquent. Celui-ci fait partie d’un cercle restreint même si il a quelque chose en plus. La tragique histoire de son auteur, que tout le monde connaît. Un écrivain qui a fait le tour du monde, prenant bien souvent des risques insensés. Un grimpeur confirmé, qui chute gravement à Chamonix le jour où il rend son manuscrit, frôlant cette fois la mort d’un peu plus près. Depuis Sylvain Tesson est marqué à vie. Sa vie. Celle que je n’ai pas eu le courage d’avoir, celle qui m’a donné envie d’étudier l’archéologie, puis de raconter des voyages. Une vie libre et compliquée à laquelle j’ai renoncé il y a longtemps.
De cette vie, il a tiré tant de livres passionnants et primés… Mais aujourd’hui je vous parle Berezina. Une fois encore il est mené par l’histoire et décide d’emprunter le même chemin que Napoléon durant la retraite de Russie. Une route terrible que l’écrivain a parcourue en side-car russe, souvent paralysé par le froid, caressé par les camions déséquilibrés par le verglas. Chaque étape est un prétexte pour décrire ce que les hommes ont vécu deux cent ans plus tôt, marchant dans la neige et sur les cadavres, vêtements arrachés, dévorant les chevaux à terre. L’histoire d’un empereur qui ferme les yeux sur sa défaite et pense déjà à l’après, impassible, lorsqu’il se confie à Caulaincourt, de traîneaux en voitures postales.
Mais au delà de l’histoire, le plus jouissif c’est le style. Une écriture imagée et percutante, la métaphore jusque dans le verbe, qui nous fait vivre intensément ces aventures parallèles. Elles se croisent sans se détrôner, les traces de Napoléon sont sanglantes, celles de Sylvain Tesson plus boueuses et alcoolisées. L’un mué par le panache, l’autre par le besoin de sentir vivant. Moscou est une monstrueuse machine à laver les âmes. Les cadavres des perce-neiges. Contexte omniprésent, le froid est un fil conducteur qui ne refroidit pas les ardeurs de ces hommes, à deux siècles d’écarts.
Il n'y a aucun commentaire
Ajoutez le vôtre